L' INEFFICACITE DES RECOURS
JURIDIQUES
- Atteinte à la vie privée et violation du secret professionnel
Le code civil (article 9) prévoie que "Chacun a droit au respect de
sa vie privée" et précise que les juges peuvent prendre en référé toutes
mesures de nature à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la
vie privée.
Le code pénal ne protège la vie privée que dans les cas où il y est porté
atteinte :
- par des procédés d'"espionnage" : enregistrement de paroles
prononcées dans un lieu privé, représentation de l'image d'une personne se
trouvant dans un lieu privé. Le commerce d'appareils permettant cet espionnage
est également puni. (articles 226-1 s.)
- par la tenue de fichiers, informatiques ou non, particulièrement quand
les informations fichées concernent la vie politique ou les origines de la
personnes. (articles 226-16 s.).
- ou bien en cas de violation du secret professionnel (article 226-13 s.)
La protection de la vie privée par la voie civile paraît plus efficace
car elle permet des mesures d'urgence.
Seule l'atteinte au secret professionnel peut concerner le cas de la
révélation de la situation matrimoniale.
Mais dans les deux cas, les juges pourraient considérer que l'atteinte à
la vie privée n'est pas constituée dans le cas de la double appellation.
L'atteinte à la vie privée par la double appellation est "invisible",
tout se passe comme si elle n'en était pas une : pourquoi les juges la
verraient ils si la loi ne leur dit pas explicitement qu'elle existe ?
Cette invisibilité est d'autant plus à craindre qu'aucun de ces deux
codes ne définit la notion de vie privée.
La notion de vie privée selon la jurisprudence pénale est
particulièrement restreinte, mais on a vu plus haut que la situation
matrimoniale est de toute façon au cœur de la notion. Elle est entendue de manière
plus extensive par la jurisprudence. Ainsi par exemple : " toute
divulgation de l'adresse du domicile ou de la résidence d'une personne sans le
consentement de celle-ci, constitue une atteinte illicite à la vie privée"
selon le Tribunal de grande instance de Paris[1].
Quand au juge européen, il "a une conception la plus large possible de la
vie privée, qui dépasse de beaucoup celle dégagée par le juge pénal qui ne
recouvre qu'une infime partie de celle ci"[2].
Il peut sembler qu'à priori la révélation de la situation matrimoniale
devrait être reconnue comme atteinte à la vie privée par n'importe quel juge,
s'il applique les principes généraux.»mais en réalité ce n'est pas du tout
évident car trop souvent à l'égard des femmes, les principes généraux sont totalement
perdus de vue par les juristes : les femmes c'est tellement différent et pas
pareil….
De plus, le jugement des magistrats peut encore être troublé par la
conception de la notion de secret.
La situation matrimoniale d'une personne fait partie des mentions de
l'état civil, accessibles à la connaissance de tiers.
En effet, le décrêt n°62-921 du 3 août 1962 modifié par le décrêt
n°68-856 du 2 octobre 1968 (art.10) relatif aux actes d'état civil et à leur
publicité prévoit que les extraits d'actes de naissance mentionnent "
l'année, le jour, l'heure et le lieu de naissance, le sexe, les prénoms et le
nom ….. les mentions de mariage, de divorce, de séparation de corps et de
décès", peuvent être délivrés à "tout requérant".
Les modalités de délivrance de ces extraits sont précisées par
l'instruction relative à l'état civil du 11 mai 1999, (mise à jour de juillet
1999) § 200 à 200-2.
Certains juristes en déduisent hardiment que la situation matrimoniale
d'une personne ne relève pas de la protection de la vie privée, et en concluent
que la divulgation d'information sur la vie privée d'une femme, par la double
appellation, n'est pas non plus une atteinte fautive au secret de la vie
privée.
Ce raisonnement omet le fait que la révélation de cette situation par la
double appellation est un acte discriminatoire envers les femmes. De plus il
est démenti par la jurisprudence pénale (voir paragraphe suivant)… il n'empêche
qu'il est tenu par des professionnels du droit.
En ce qui concerne le secret professionnel, la Chambre Criminelle de la
Cour de Cassation a précisé à plusieurs reprise que même si le fait a ou aurait
être connu par ailleurs, sa révélation par un professionnel ne serait ce qu'à
une personne, est répréhensible :
"La disposition de l’article 378 est générale et
absolue et les règles qu’il édicte doivent recevoir application encore bien
qu’il s’agisse d’un fait connu ou simplement susceptible de l’être." Crim.
12 avril 1951, , 24 janvier 1957, 25 janvier 1968, 8 février 1994
" Le principe posé par l’article 378 est général et
absolu même s’il s’agit d’un fait connu dans son ensemble lorsque
l’intervention du dépositaire du secret entraîne la divulgation de précisions
qu’il était seul à connaître. " Crim. 7 mars 1989,
" La connaissance des faits par d'autres personnes
n'est pas de nature à leur enlever leur caractère confidentiel et secret "
Crim 22 novembre 1994.
"La révélation des secrets professionnels, réprimée par
l'art. 378 code pénal, n'en suppose pas la divulgation; elle peut exister
légalement, lors même que la connaissance en est donnée à une personne
unique." Crim. 21/11/1874 .
Elle motive cette obligation du professionnel par sa situation de
"confident nécessaire", par l'obligation dans laquelle se trouve
autrui de confier l'information au professionnel :
" Si celui qui a reçu la confidence d'un secret a toujours le
devoir de le garder, la révélation de cette confidence ne le rend punissable
que s'il s'agit d'une confidence liée a l'exercice de certaines professions; ce
que la loi a voulu garantir, c'est la sécurité des confidences qu'un
particulier est dans la nécessité de faire à une personne dont l'état ou la
profession, dans un intérêt général et d'ordre public, fait d'elle un confident
nécessaire. " Crim. 19/11/1985
Et elle précise que l'intention
de nuire n'est pas un élément constitutif de l'infraction :
"Le délit
existe dès que la révélation a été faite avec connaissance, indépendamment de
toute intention spéciale de nuire." Crim. 15/12/1885; DP 1886.1.347
L'intention répréhensible est celle de dire, et pas
forcément de médire ou de nuire..
Le secret est protégé quelque soit la profession :
"Dans un souci de concision, le législateur n'a pas
reproduit la liste de certains professionnels tenus au secret, qui figure
actuellement à l'article 378 [ de l'ancien code pénal ] . Celle-ci est en effet
inutile au regard de la définition générale que retient l'article 226-13 : sont
soumises au secret professionnel les personnes dépositaires, soit par état ou
par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire,
d'information à caractère secret." Circulaire du 14 mai 1993.
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